Si tu te demandes comment une femme a prémédité de faire sa demande en mariage pendant la finale des Jeux Olympiques alors tu es sur la bonne page.
En toute honnêteté, pour une fois, je n’avais rien calculé, cette idée est née 48 heures avant la finale olympique. Nous sommes dimanche 4 août dans l’après-midi, je suis seule dans le village, dans ma chambre, et je savoure ma qualification en finale sans embûche. Alors que je me projette déjà sur la finale et me prépare mentalement; je visualise le moment, et j’essaie de me rappeler le pourquoi, quel est mon objectif sur cette course.
Et là c’est le sub9’ qui vient en premier à mon esprit.
Avec Bruno toute l’année on se levait en pensant 9’. Alors moi un peu plus que lui, mais ça revenait souvent dans nos échanges on savait qu’on allait courir moins de 9’, en tout cas on se préparait pour. Et je dis « on » car une perf comme ça on la fait pas seule. Bruno m’a accompagné toute l’année ( mais pas seulement, depuis 9 années) dans mes choix, mes entrainements, mes stages, mes concessions, l’organisations des jeux auprès de mes proches, lui aussi il a fait bouger des montagnes pour que je brille lors des Jeux olympiques de Paris.
Ça m’explose au visage, comme une évidence. Je me dis « si je passe sous les 9’ je le demande en mariage ».

Je ne me pose pas la question deux fois. en plus le 9 c’est mon chiffre préféré, ma date de naissance, ça fait 9 ans qu’on est ensemble, j’étais championne d’Europe le 09/06 et je cours en finale le 06 aout, le 6 c’est un 9 a l’envers,… et j’en passe. Ceux qui me connaissent, me qualifient aisément de cartésienne et pragmatique, mais j’ai mes convictions un peu plus spirituelles qui me guident toujours. Alors je fais confiance à mon instinct encore une fois.
Donc comme je ne doute pas de ma volonté de le demander en mariage a condition de descendre des 9’, et bien je continue ma réflexion dans ce sens,… il me faut un objet de demande… comment je fais ? Je suis déjà dans le village… j’écris « Marry me ! » sur mon dossard ? Arf trop cheap…
Je m’endors et me réveille lundi 5 aout, je vais chez mon équipementier Nike pour me faire les ongles pour la finale. En sortant je trouve dans une corbeille un pin qui indique « Y’a de l’amour à Paris », totalement random mais inclusif, j’adore! C’est parfait, ça sera mon objet de demande. Et puis je continue ma journée chez Nike Avec Bruno qui me rejoint, pour nous changer les idées et sortir du brouhaha du village qui pompe une énergie colossale.

Je vous laisse imaginer vivre une semaine dans un aéroport, il y a des sécurités partout, ça grouille d’athlètes qui entrent et sortent avec leur valises, et l’air est chargé en émotions, positives comme négatives. Ça me rappelait ces départs de voyages lors desquels vous laissez lourdement des choses derrière vous, ou que vous êtes pleins d’espérances et d’illusions sur ce que le futur vous réserve.

J’y retourne en essayant de rester un maximum dans ma bulle.
Mardi 06 aout, le grand jour. Est ce que je suis stressée ? Sans plus, je veux encore une fois tout contrôler, mais le boulot est fait, j’essaie juste de rester calme, et de me concentrer sur ce que j’ai à faire. Et de profiter du moment tant attendu finalement.

18h approx c’est l’heure de se préparer et de partir au stade d’échauffement, je monte dans l’ascenseur et je me prends en photo en tenue, je suis on fire. Je fais méchauffe, je vais me changer, Mehdi Baala m’aide à mettre mes dossards, on avait remarqué aux Europes que ça m’avait porté chance en semi et finale alors on s’était dit qu’aux Jeux Mehdi serait là pour me mettre mes dossards. Mais, au moment où il est sur le point de prendre mon dossard de devant avec le transpondeur je lui dit: « non pas touche, celui la c’est moi qui le mets », Mehdi sourit, je ne sais pas ce qu’il comprend sur le moment, mais il sait que je sais ce que je fais. Je place le dossard sur l’avant de ma combi et j’y glisse le fameux pin. En espérant ne pas créer d’interférences avec la puce, mais aussi ne pas me planter le ventre.

Je pars en chambre d’appel, en retard comme d’habitude, je vais vous faire une confidence: j’ai une gestion du temps absolument catastrophique lorsque je ne cours pas. Je dis à mon coach « si je vois 6’42 à moins de deux tours je ferais moins de 9’ ». Il me répond « Tais-toi, arrête de tout calculer et cours ! ». je rentre en chambre d’appel et ça y est je suis dans mon tunnel de compétition, j’en oublie ma demande en mariage et je me transforme en « petit animal » comme je dis toujours. Tous mes sens sont aiguisés, le sang ne va que dans mes muscles, je vois tout au ralenti ; le stress de la fuite. Ça tombe bien il va y avoir un coup de pétard et il va falloir courir très vite.
On y est, je mets le pied sur la piste, l’ovation du public est poignante, mais j’avais décidé de m’en détacher, je me connecte à eux le temps de la présentation et les remercie et je remets mes œillères, je n’entends plus ce qui se passe autour de moi.
À vos marques, Prêt PAN!
« Click » je déclenche mon chrono. Pourquoi ? Eh bien parce que les chronos de la piste s’arrêtent lorsque la première passe, comme j’avais décidé que je ne suivrais pas la tête de course si ça partait vite alors il fallait que je sache quels seraient mes propres temps de passage. J’avais plusieurs péages en tête, le 1000, le 1500, le 2000 et le 2200. A 2200m il vous manque 2 tours, et la je vois … 6’42, OUI! Je l’ai presque fait ! Je me reconnecte à ce moment au pin que j’ai placé sur mon cœur et je ne pense qu’à « Bruno » de nouveau j’entend le public, je ne suis plus dans le contrôle mais dans la recherche du supplément d’âme, cette petite chose qui vous permet de vous dépasser comme jamais. Cette vague du public me pousse par derrière pendant que je vois les filles devant se rapprocher de plus en plus. J’en passe 2 dans l’avant dernier tour, puis 2 sur la rivière du dernier tour. Je donne tout ce que je peux mais c’est trop tard la 3 ème est imprenable mais j’ai quand même des secondes à grappiller. Et là je passe la ligne et je vois encore un 8’ affiche au compteur. ON L’A FAIT. Je savais qu’en emportant Bruno avec moi dans cette course on allait courir ensemble et plus vite.

Bruno m’avait prévenu qu’il mettrait du temps à descendre à la rivière étant placé dans les gradins tout en haut. Je prends mon temps pour profiter de l’after Party avec les filles sur la ligne d’arrivée et je me rends compte que je viens de faire le RECORD d’EUROPE, c’est lunaire, je me sens tellement pleine de gratitude, je sais que ma bonne étoile était là aussi ce jour.
Le moment est venu d’aller voir mes proches, je trottine jusqu’aux gradins de la rivière en remerciant le public si chaleureux. Je cherche Bruno et la suite vous la connaissez, avec ces images qui ont fait le tour du monde.

Bruno, c’est le mec qui a une entreprise de 90 employés environ, qui fait du sport amateur (triathlon) mais qui sait souffrir et qui aime ça. C’est aussi celui qui va organiser sa journée pour être dispo pendant mes 2 heures de séances et me tirer en vélo.
Bruno pour l’année olympique, il a aussi créé et distribué des centaines de t-shirt pour mes proches afin de m’encourager tout au long de la saison, il a fait se déplacer plus de 100 personnes pour venir me soutenir aux Jeux et a fait le guide touristique en français/anglais/espagnol/portugais et italien, bref Bruno c’est Yes-man, personne ne l’arrête et il vous surprendra toujours…

C’était pour moi une manière de le remercier pour son soutien, d’avoir donner sans attendre en retour juste pour me voir briller.
La vérité c’est que l’on ne sait pas quand on va se marier. Cela reste compliqué à planifier dans le roller coaster de la compétition et des championnats, je profite encore de l’exaltation de la compète. Mais au moins vous connaissez tous l’homme de l’ombre qui permet à une femme d’être protagoniste sur la piste.
Illustration : Apdou